Les limites planétaires

Les limites planétaires

La sixième limite planétaire vient d’être franchie… début mai, nous en avons beaucoup entendu parler, mais qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que les limites planétaires ? D’où vient le concept ? On s’est intéressé au sujet et on vous propose de le découvrir avec nous.

 

Un peu d’histoire pour commencer. 

 

Au milieu du XXème siècle, nous sommes dans une phase de Grande Accélération. 3 grandes caractéristiques définissent cette époque : le développement économique planétaire, l’intensification des activités humaines et la croissance démographique. Cela implique une utilisation accrue des ressources naturelles et les scientifiques tirent déjà la sonnette d’alarme. Certains s’en inquiètent, notamment le Club de Rome1

 

Le Club de Rome commande et publie un rapport “Les limites de la croissance” ou le “Rapport Meadows” réalisés par des scientifiques du Massachussetts Institute of Technology (MIT). Ce rapport publié en 1972 explique qu’une croissance exponentielle est insoutenable face à une ressource finie. Pour résumer, ce rapport montre que la croissance s’effondrerait à partir de 2020 (et ils n’ont pas eu complètement tort…)

 

En 2009, dans la continuité de ces travaux, une nouvelle approche est formalisée dans le but d’améliorer l’information sur les risques de changements environnementaux brusques globaux induits par l’empreinte humaine et susceptibles d’affecter les écosystèmes et le bien-être. C’est la naissance du concept des limites planétaires.

 

Alors, Les limites planétaires kezako ? 

 

En 2009, une équipe de 28 chercheurs menés par Johan Rockström et Will Stefen publie l’article “Planetary Boundaries: Exploring the Safe Operating Space for Humanity” dans la revue Ecology and Society. Les travaux permettent de définir 9 processus biophysiques qui représentent le bon fonctionnement de la Terre.

 

Ces 9 processus biophysiques, quels sont-ils ?

 

  1. Le changement climatique,
  2. l’érosion de la biodiversité,
  3. la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore,
  4. les changements d’utilisation des sols,
  5. l’acidification des océans, 
  6. l’utilisation mondiale de l’eau, 
  7. l’appauvrissement de la couche d’ozone stratosphérique,
  8. la pollution chimique 
  9. et l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère.

 

À chacun de ces 9 facteurs a été donné un indicateur, une limite à ne pas dépasser. 

  • le changement climatique 

On mesure la concentration de CO2 dans l’atmosphère, elle doit être inférieure à 350 ppm (partie par million, soit combien on trouve de molécules de polluant sur un million de molécules d’air).

  • l’érosion de la biodiversité

En 2009, on mesure la perte de biodiversité génétique (variété en gènes des organismes) grâce au taux annuel d’extinctions qui doit être inférieur à 10 extinctions par millions d’habitants. 

  • la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote

On mesure la fixation de diazote par l’industrie et l’agriculture (limite à la fixation industrielle et agricole de 62 Tg/an). En 2009, cette limite est déjà dépassée. 

  • les changements d’utilisation des sols

Les terres cultivées ne doivent pas dépasser 15 % de la surface de terres disponibles. En 2009, environ 12 % de la surface terrestre mondiale est cultivée.

  • l’acidification des océans

On mesure l’état de saturation de l’eau de mer de surface. Le taux moyen de saturation de l’eau de mer de surface en aragonite supérieure ou égale à 80 % du niveau préindustriel.

  • l’utilisation mondiale de l’eau

L’utilisation mondiale de l’eau doit être inférieure à 4000 km3 par an

  • l’appauvrissement de la couche d’ozone stratosphérique

On mesure la concentration en ozone. Sachant que la valeur moyenne de la colonne d’ozone est de 300 DU, la limite est fixée à 275 DU, à savoir 95 % de son niveau préindustriel (290 DU). En 2009, la concentration s’élève à 283 DU.

  • la pollution chimique 

Par manque de données, la limite de la pollution chimique ne peut pas être quantifiée en 2009.

  • l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère

Par manque de données, la limite de l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère ne peut pas être quantifiée en 2009.

 

Les limites planétaires définissent donc un espace de développement sûr et juste pour l’humanité. Ces indicateurs permettent d’améliorer l’information sur les risques de bouleversements environnementaux induits par les activités humaines, et leurs conséquences sur les écosystèmes.

 

Respecter ces seuils, c’est assurer des conditions de développement futur pérennes à l’humanité et, plus largement, à toute vie sur Terre. 

 

Dépasser ces frontières du système terrestre expose l’humanité à des modifications plus ou moins brutales, imprévisibles et potentiellement catastrophiques de l’environnement.




Combien de limites a-t-on déjà dépassées ?

 

Lors de la parution de l’article en 2009, les scientifiques estiment que 3 des limites ont déjà été franchies : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité et la perturbation du cycle de l’azote



Processus Biophysiques

Seuil à ne pas dépasser

Etat actuel

Changement climatique

>350 ppm

412 ppm2

Erosion de la biodiversité

Max 10E/EA

100-1000 E/EA3

Perturbation du cycle de l’azote

Max 62 Tg/an

150-180 Tg/an4



En 2015, les auteurs publient une actualisation de leurs travaux dans la revue Science : “Planetary boundaries: Guiding human development on a changing planet. Les processus biophysiques et leurs mesures ont évolué et une autre limite est dépassée. 

 

L’érosion de la biodiversité intègre aussi la biodiversité fonctionnelle (variété en formes de vie et interactions entre ces formes de vie). L’indice l’indice d’intégrité de la biosphère (IIB) qui évalue l’évolution depuis l’ère préindustrielle de l’abondance des populations ne doit pas être inférieur à 90%. 

 

La perturbation du cycle de l’azote devient une sous limite de la perturbation des cycles géochimiques et est complétée par la perturbation du cycle du phosphore, limite dépassée lors de la parution de l’article en 2015. On mesure le rejet de phosphore dans les océans (il ne doit pas être plus de dix fois supérieur au rejet naturel soit maximum 11 Tg/an)

 

Toujours dans l’article mis à jour de 2015, les scientifiques proposent de calculer le changement d’utilisation des sols par rapport à la forêt plutôt que par les terres agricoles : au moins 75 % des terres jadis forestières restent boisées. En 2015 cette limite est donc dépassée puisque seuls 62 % des terres jadis forestières sont boisées.



Processus Biophysiques

Seuil à ne pas dépasser

Etat actuel

Perturbation du cycle du phosphore

Max 11 Tg/an

22 Tg/an5

Changement d’utilisation des sols

Min 75%

62%3

 

Enfin dernière nouveauté dans le rapport actualisé de 2015, la pollution chimique est précisée. Elle correspond à la diffusion « d’entités nouvelles » dans l’environnement, qui peut avoir des conséquences biologiques et/ou géophysiques nocives.Plus de 100 000 substances entrant dans cette catégorie sont aujourd’hui commercialisées dans le monde. En ce début d’année 2022, les scientifiques affirment que cette limite a été franchie même si à cause de sa complexité, l’étude ne définit pas un seuil, le fait que la masse totale des plastiques dépasse désormais la masse totale de tous les mammifères vivants nous permet de penser que cette limite à bel et bien était dépassé.6.

 

L’année 2022 commence décidément bien mal puisque 3 mois plus tard, un article publié dans Nature le 26 avril par les chercheuses et chercheurs du Potsdam Institute associé au Stockholm Resilience Center démontrent que la limite planétaire du cycle de l’eau verte (eau douce) est franchie. Initialement la limite de l’utilisation mondiale de l’eau prenait en compte l’eau bleue, c’est-à-dire l’eau issue des précipitations atmosphériques (retenue dans les mers, les réservoirs ou les lacs). L’utilisation mondiale de l’eau doit être inférieure à 4000 km3 par an. Dans ce nouvel article, les scientifiques prennent en compte l’eau verte c’est -à -dire l’eau absorbée par les végétaux ou l’humidité des sols. En prenant en compte cette nouvelle définition, la limite est franchie.

 

Est-ce que c’est la fin du monde ?

 

C’est sûrement la fin du monde tel que nous le connaissons. Heureusement de nombreux acteurs ont compris les enjeux environnementaux et sociaux et tentent de changer nos manières de penser, de produire, de consommer et surtout de vivre! De nombreuses solutions existent pour ralentir et essayer de maîtriser les conséquences de nos activités humaines passées et présentes. Deux choses à faire pour prendre part à la construction de ce monde et ne pas contribuer à la survie de l’ancien : se renseigner/s’informer pour mieux agir et pratiquer le concept de sobriété heureuse ! Même si après la lecture de cet article on peut comprendre que vous ayez envie d’un petit remontant.



  1. Le Club de Rome est un groupe de réflexion (think tank) international fondé en 1968 et composé d’économistes, de scientifiques, de hauts fonctionnaires et d’industriels de différents pays. Il s’est donné pour but de réfléchir sur les problèmes complexes auxquels toutes les sociétés doivent faire face, qu’elles soient industrialisées ou en développement” Dictionnaire politiques.
  2. Service des données et études statistiques (SDES), « Causes du changement climatique »
  3. Planetary boundaries: Guiding human development on a changing planet, Science, 13 février 2015
  4. D. L. N. Rao et D. Balachandar, Nitrogen Inputs From Biological Nitrogen Fixation in Indian Agriculture

5.Stephen R. Carpenter et Elena M. Bennett, Reconsideration of the planetary boundary for phosphorus, Elsevier, 2017

  1. Outside the Safe Operating Space of the Planetary Boundary for Novel Entities, Environmental Science & Technology,  18 janvier 2022